Ecrire en quelques lignes, voire quelques pages, pour servir d’introduction à notre site, un résumé de la vie et de l’œuvre du Général de Gaulle est rigoureusement impossible. L’éclairage qui serait alors donné sur le personnage serait infailliblement partiel et donc partial et ouvrirait la voie aux critiques et aux polémiques. Force est donc de nous cantonner à quelques facettes d’une personnalité riche qui en comporte beaucoup. Notre illustre parrain étant le Général de Gaulle et non pas Charles de Gaulle d’une part, et s’agissant de présenter ici une promotion de Saint-Cyr d’autre part, nous nous bornerons donc à évoquer le militaire et laisserons le personnage politique aux bons soins des historiens ou des politologues. Dès lors, pourquoi ne pas tenter de redécouvrir, en le débarrassant de la gangue des jugements, passions ou préjugés que sa carrière politique ultérieure suscita, l’officier que fut le Général de Gaulle et d’abord le Saint-Cyrien ? Posons nous d’entrée de jeu une question qui pourra paraître iconoclaste : le jeune Charles de Gaulle avait-il la vocation militaire ? N’était-il pas davantage attiré par l’histoire et la littérature ? Deux de ses frères ont choisi le métier d’ingénieur et le troisième une carrière administrative privée. Certes, dans ses jeux, lorsqu’il avait quinze ans, Charles sauvait la France à la tête d’une armée de 200 000 hommes, mais il n’a jamais considéré l’Armée comme une institution au dessus de toute critique. Alors ? Le choix de son parcours semble avoir été dicté par deux considérations majeures : l’armée était alors la structure la plus solide du pays et le soldat se considérait au service de tous sans aucune discrimination. A cette époque, à Saint-Cyr, la formation commence par une année de service comme simple soldat dans un corps de troupe. Pour le soldat de Gaulle, ce sera le 33ème régiment d’infanterie (RI) à Arras, où il découvre les réalités profondes de la société d’alors en côtoyant les représentants de ses deux principaux piliers : les paysans et les ouvriers. Déjà il attire l’attention : placé, de par sa taille, en tête de sa section, il se fait injurier par les derniers parce que son pas est trop allongé. Mais, fait moins anecdotique car peu courant, il lui est demandé de prononcer une conférence devant tout son bataillon. L’atmosphère du régiment a du satisfaire notre parrain, puisque, à sa sortie de l’école, il demandera à y retourner. Enfin, après cette année de troupe, c’est vraiment Saint-Cyr (1), le bahutage (2), les exercices physiques et la pompe (3). Entré 119éme, de Gaulle sortira 13ème au classement final, ayant obtenu ses meilleurs résultats en histoire, géographie et, plus généralement, dans les matières théoriques (la pompe). L’école de Saint-Cyr est alors un moule destiné à fabriquer des caractères identiques. Y sont affirmées la grandeur de l’Etat, de l’Armée et l’infaillibilité des chefs. Il y est peu question de tactique et encore moins de stratégie. On y apprend à obéir. Néanmoins, et malgré la pression subie, il semble que la capacité de jugement du Sous-lieutenant de Gaulle n’ait été en rien altérée, mais qu’au contraire celui-ci ait développé son esprit citoyen. A sa sortie de l’école, dédaignant les armes dites nobles d’alors (et d’abord la cavalerie), il choisit l’infanterie et retourne à Arras. Pressent-il que la guerre qui approche consacrera la prédominance de cette arme ? Premier signe du destin, le Colonel qui commande maintenant le 33ème RI n’est autre que Philippe Pétain. Dans le monde militaire, la réputation de celui-ci est celle d’un non-conformiste qui ose discuter la doctrine officielle de l’offensive à outrance à laquelle s’oppose jusqu’à l’annihiler la densité du feu adverse. Ce Colonel ancien, amer et replié sur lui-même, car estimant que sa valeur n’est pas reconnue, est sur le point de terminer sa carrière dans la plus parfaite obscurité. Il se tient éloigné des obligations du service et reste isolé de ses subordonnés. Paradoxalement, cette attitude lui confère chez ceux-ci un remarquable prestige. Le Sous-lieutenant analyse cette attitude hautaine et comprend que la distance est un facteur de fascination. Il en prend bonne note. Il est frappé aussi par le fait qu’un Colonel, ancien professeur à L’Ecole de Guerre, puisse mettre ouvertement en doute les directives du Grand Etat-major. Si de Gaulle n’est pas entièrement convaincu par le raisonnement de son chef, il commence à parler de « manœuvres » en lieu et place de l’ « offensive », mais pas encore de « mouvement ». A l’instant qui précède l’épreuve du feu, le désormais Lieutenant de Gaulle éprouve, comme tous les autres, une terrible angoisse. Sera-t-il à la hauteur ? Soutenu par le regard de ceux qu’il commande, il se comporte avec calme et courage. Fauché à l’entrée d’un pont qu’il doit franchir, il est évacué, connaît l’hôpital puis retourne aux premières lignes. Après dix-huit mois de front, il sera ramassé inanimé par les Allemands devant Verdun, dix-huit mois au cours desquels, les balles et les obus ne firent aucune différence entre gradés et soldats, où la misère physique et morale fut la même pour tous, où la mort toujours présente ne laissa aucun répit à l’âme. De cette tragique expérience, le Général de Gaulle restera imprégné toute sa vie durant. Le formidable brassage des classes sociales dans les tranchées lui apporta la connaissance des constantes et des contrastes qui composent la nation française. Ensuite s’égrèneront trente-deux longs mois de captivité, épreuve pénible pour un officier de carrière qui s’est préparé à la guerre et qui se voit immobilisé alors que toute la nation lutte pour sa survie. Cinq tentatives d’évasion lui valent d’être placé en cellule. Il profite de ce « lamentable exil », selon sa propre expression, pour parfaire sa culture. Il se plonge dans la lecture avec avidité, perfectionne son allemand, réapprend l’histoire grecque et romaine, relit les grands classiques et se passionne pour la littérature du XIXème siècle. Le militaire que les Allemands ont « enterré vivant » possèdera, la guerre finie, la culture lui permettant d’aborder les sujets généraux en sortant des strictes limites de son état militaire. Au sortir de sa captivité, promu Capitaine, de Gaulle part en Pologne qui se bat contre l’Armée Rouge. Il sert comme instructeur d’abord dans un régiment puis à l’Ecole d’Infanterie. Au cours des seize mois passés dans ce pays, il participera une fois directement au combat contre l’Union Soviétique.
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De retour en France, il est nommé professeur d’histoire militaire à Saint-Cyr. Il met un point d’honneur à ne jamais utiliser de notes lors de ses cours ou conférences, s’astreignant à tout apprendre par cœur , au mot près, et entraînant ainsi sa fabuleuse mémoire. Dix huit mois plus tard, il est reçu à l’Ecole Supérieure de Guerre (4). La doctrine qui y est enseignée n’est plus, à l’inverse de 1914, axée sur l’offensive, mais orientée, au contraire, sur la défensive. De Gaulle prétend, lui, que sur le champ de bataille, une seule règle prévaut, immuable : l’adaptation aux circonstances et leur exploitation. Un affrontement entre le stagiaire aux titres de guerre modestes et les autorités de l’Ecole devient inévitable. Le classement de sortie de « l’esprit fort » s’en ressentira. Il sera cependant amélioré sur ordre du Maréchal Pétain devenu chef suprême de l’armée. Sur cet incident, de Gaulle se réservera le dernier mot en publiant, à peine aura-t-il quitté les amphithéâtres de l’Ecole Militaire, dans la « Revue militaire » un article intitulé : « Doctrine a priori ou doctrine des circonstances ». Son don pour la plume clairement affirmé le conduit alors dans le saint des saints : l’état-major du Maréchal Pétain, vice-président du Conseil Supérieur de la Guerre. Il y travaillera vingt-sept mois au cours desquels il suivra avec une intense curiosité les ambitions et les intrigues, les élévations et les chutes, tous ces jeux cruels dont il ignorait jusqu’alors les règles. Mais cette affectation auprès du Maréchal sera aussi la source de la première des querelles entre les deux hommes, querelle d’autant plus farouche qu’elle aura pour objet un sujet littéraire. En effet, pour être reçu à l’Académie Française, le Maréchal doit produire un livre. Il demande à son collaborateur de Gaulle, dans le cadre de son service, d’écrire un ouvrage qui doit s’intituler « L’histoire du soldat français ». Plusieurs années plus tard, le livre n’ayant toujours pas été publié par le Maréchal et au terme d’un affrontement qui opposera un chef de bataillon au plus élevé de ses chefs, de Gaulle revendiquera la paternité de l’ouvrage et le fera publier sous le titre : « La France et son armée ». Eloigné de la vie des quartiers de 1921 à 1927 et donc n’ayant pas commandé directement de troupe pendant six ans, il prend la tête du 19ème Bataillon de chasseurs à Trèves, en Allemagne occupée, pendant deux ans. Ce temps de troupe réglementaire d’officier supérieur écoulé, le breveté qu’il est (5) doit payer son écot en servant dans un état-major. Ce sera celui du Général Commandant Supérieur des troupes du Levant dont le siège est à Beyrouth. Ce séjour passé entre Beyrouth, Le Caire et Damas ne durera que les deux années indispensables, et pas un mois de plus, tant est grande l’impatience du Commandant de Gaulle de se rapprocher des cercles où se prennent les décisions. Toutefois, il ouvrira les yeux du métropolitain sur cet Orient « compliqué qu’il faut aborder avec des idées simples ». Cette connaissance du Levant sera plus tard précieuse au chef de la France Libre. En 1931, de Gaulle rentre en France et, une nouvelle fois « orienté » par le Maréchal (6), est nommé chef de la 3ème section du Secrétariat Général de la Défense Nationale. Sa mission consiste à préparer une loi sur l’organisation de la nation en temps de guerre, texte où toutes les forces vives du pays de nature à concourir à la défense sont concernées : finances, industrie, agriculture, commerce et relations internationales. C’est sans doute ici que l’officier s’est doté des moyens qui lui permettront, le jour venu, de sortir de toutes les hiérarchies, même si ce fut, à n’en pas douter, sa constante aspiration. De Gaulle se trouve donc ici au carrefour le plus élevé du monde politico-militaire et il bénéficie d’une formation qu’aucune école n’eût été en mesure de lui dispenser. Pendant près de six années, ses interlocuteurs seront des ministres, des parlementaires, des gouverneurs de territoire de l’Empire, des diplomates, des industriels, des commerciaux. Nommé Lieutenant-colonel en 1932, il vivra à ce poste les crises qui, de 1934 à 1937, ébranleront l’équilibre de la France et de l’Europe. En 1936, c’est le Centre des Hautes Etudes Militaires (CHEM) puis, nanti d’un bagage exceptionnel, la prise de commandement du 507ème Régiment de chars à Metz. Au CHEM, ignorant le devoir de réserve, l’auditeur (7), à travers articles et études divers, avait mené une véritable campagne en faveur de la constitution, au sein des armées, d’un corps de soldats professionnels servant dans des divisions blindées autonomes. Aussi est-il attendu au tournant, et les uns et les autres guettent avec délectation le premier faux pas de ce théoricien de l’arme blindée. Trois mois après sa prise de commandement, il présente son Régiment, de façon spectaculaire et tonitruante, au Ministre de la guerre en présence du Gouverneur militaire de Metz, le Général Giraud. En octobre 1939, la guerre ayant été déclarée, il récidive comme commandant par intérim des chars de la Vème armée, devant, cette fois, le Président de la République, Albert Lebrun. Mais le Colonel occupe une place où son influence sur les événements est inexistante. En janvier 1940, il envoie une note aux quatre-vingt plus hautes personnalités de l’Etat, pour les alerter et les conseiller sur la conduite de la guerre. Cette note restera lettre morte. Cependant, Paul Reynaud est appelé à la tête du gouvernement. Il est le seul homme politique de ce niveau qui a fait siennes et défendu les vues du Colonel de Gaulle. On connaît la suite : la 4ème Division cuirassée, des résultats non négligeables, à deux reprises, lors de la campagne de mai 1940, l’entrée au gouvernement, le 05 juin, accompagnée par la nomination au grade de Général de brigade à titre temporaire. Là s’arrête la carrière strictement militaire de notre parrain. L’acte fondateur de ce que, plus tard, on appellera « le gaullisme » qui n’est autre qu’une formidable capacité de refus de l’inacceptable, ce sera l’appel du 18 juin. Dès lors, le personnage nous échappe, à nous Saint-Cyriens de la promotion qui porte son nom, pour entrer dans l’histoire et le patrimoine de tous les Français. A partir de ce jour là, est attaché à la personne du Général de Gaulle un caractère symbolique dont notre parrain était conscient et qu’il décrira ainsi : « Ce fut pour moi, sans relâche, une forte tutelle intérieure en même temps qu’un joug bien lourd.» (8) Gilbert ROBINET |
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